FDM dropper – (1992–1993)
École nomade des arts a-conventionnels (Marseille, Vaulx-en-Velin, Mantes-la-Jolie, Le Caire, Dakar)

En 1992, après trois années consacrées à la création de Radix, grande œuvre multi-arts franco-soviétique présentée au Palais des Sports de Leningrad et à la Grande Halle de la Villette (Paris), en partenariat avec la Fémis et les studios Lenfilm, le collectif LFKs, dirigé par JM. Bruyère, lance son premier programme pédagogique expérimental : FDM (Fouteurs De Merde).
L’école, entièrement nomade, est conçue pour 100 jeunes adultes “DD++” — Discriminés, Décrocheurs, Délinquants, Désorientés, Désocialisés, Déprimés, Dégoûtés —, hommes et femmes de 16 à 26 ans évoluant en dehors des systèmes d’enseignement classiques.
Ses fondations pédagogiques reposent sur une hybridation inédite entre arts de la scène, musique, cinéma, écriture et philosophie, dans une logique d’immersion, de création collective et de confrontation joyeuse aux normes.
FDM est animée par une équipe franco-sénégalaise et fonctionne avec une extrême légèreté logistique : tout le matériel pédagogique tient dans un véhicule utilitaire, qui se déploie deux jours par semaine à Marseille (dans une salle jouxtant le bidonville kabyle Chieusse-Pasteur, dont plusieurs élèves sont issus), Vaulx-en-Velin et Mantes-la-Jolie.
Autre marque de fabrique : l'école organise des séjours ruraux et des voyages longs dans des zones d’origine culturelle des élèves — notamment au Caire et à Dakar, où elle installe temporairement des “classes satellites”. Chaque année, les élèves français partent un mois en immersion dans l’une ou l’autre de ces villes.
Le programme bénéficie du soutien des cinq villes traversées, du ministère de la Ville, du ministère de la Coopération (aujourd’hui disparu), de l’Opéra du Caire et de l’Institut Français de Dakar.
Plusieurs élèves issus de FDM se sont fait connaître par la suite dans le monde artistique, c’est notamment le cas de :
- Jean-Rachid Kallouch, producteur et acteur culturel,
- Ahmed El Attar, metteur en scène et directeur du Downtown Contemporary Arts Festival (Le Caire(
- et quatre membres fondateurs de la Fonky Family : Pone, Le Rat Luciano, Menzo et DJ Djel.

Pone – Guilhem Gallart
Producteur, auteur

Trente ans plus tard, Pone – Guilhem Gallart, raconte en détail dans son autobiographie, Un peu plus loin (2023), l’impact radical de ses années à FDM sur sa vie d’artiste.

Guilhem Gallart a mis plus de deux ans avant d’écrire son autobiographie. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir été encouragé. Beaucoup attendait qu’il raconte sa vie, ses débuts en tant que producteur, son enfance à Toulouse, sa jeunesse à Marseille, sa carrière au sein du groupe mythique Fonky Family, la maladie de Charcot dont il souffre depuis 2015. Mais il fallait déjà se reconstruire, apprendre à vivre entièrement paralysé, retrouver une forme d’équilibre, de sérénité. Et puis écrire un bouquin sur sa vie, lui qui n’aime pas parler de sa personne, il a dû faire mûrir l’idée avant de l’écrire avec les yeux.
EXTRAITS, au sujet de FDM :
"Contre toute attente, c’est dans un lieu qui était pour moi synonyme d’impasse sociale que j’allais trouver le sésame.
On dit souvent qu’on n’oublie jamais la première rencontre avec les personnes importantes de notre vie, ça m’est arrivé avec un dépliant trouvé à la mission locale. Il était orange, tout en longueur, et il y était question d’un casting pour une école artistique. Ça, ça me causait. J’ai immédiatement noté la date d’une croix rouge dans ma tête.
Ce style de rencards mettait la pression. Il fallait trouver l’endroit, arriver à l’heure, le tout en transports dans les recoins des quartiers Nord. Une mission.
L’audition se déroulait dans un collège et on devait être une quarantaine de jeunes debout dans une salle de classe.
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Je n’ai pas plus de souvenirs de cette audition, si ce n’est l’image de deux silhouettes dans la cour, attendant la prochaine session de casting. Casquettes, jeans serrés, blousons, Air Max, des dégaines de crapules. C’était Christophe Carmona et Mohamed Ali, plus tard connus sous les noms du Rat Luciano et de Menzo. Ils avaient seize ans.
Christophe et Mohamed allaient devenir des personnages centraux de cette nouvelle vie.
Le projet s’appelait « FDM Dropper ». C’était l’initiative d’un millionnaire philanthrope que nous ne rencontrerions jamais. Il s’agissait d’offrir des ateliers artistiques pendant deux ans à une vingtaine de jeunes Marseillais, majoritairement issus des quartiers Nord. Mais aussi à vingt jeunes de Mantes-la-Jolie et à vingt autres de Vaulx-en-Velin. Je pense que notre philanthrope voulait montrer qu’il y avait du bon dans les quartiers cramés.
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Djel avait raté l’audition, je suggérai à Jean-Michel Bruyère, le directeur artistique, de l’enrôler. Il trouvait l’idée d’avoir un DJ séduisante. Le naturel sympathique de Djel a fait le reste. Je me suis donc retrouvé avec mon meilleur pote pour la plus folle des aventures dont on puisse rêver à dix-neuf ans sans un sou en poche.
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La toile Fonky Family se tissait car d’un autre côté, je commençais à fréquenter Le Rat et Menzo par l’intermédiaire des ateliers artistiques de FDM (ils avaient été également retenus) qui avaient lieu au centre culturel Mirabeau, à Consolat, dans le XVe arrondissement.
On était loin d’être de bons comédiens mais en impro, il y avait de sacrés phénomènes. Le Rat, qu’on appelait encore Christophe, était archi-fort. Chaque fois qu’il montait sur les planches, il se produisait quelque chose, même les profs étaient épatés. Il avait un côté très attachant.
(…/…).
C’est aussi là qu’on est partis à Métabief avec FDM, dans le Jura. On y a rencontré les sections de Mantes-la-Jolie et de Vaulx-en-Velin. Au programme : ateliers théâtre avec un spectacle en ligne de mire. Bien entendu, j’ai fait équipe avec Djel et Le Rat. Menzo n’était pas là, il était aux Comores où il est resté presque un an après avoir contracté le palud. On y a fêté les dix-sept ans du Rat, qui après avoir perdu un pari a dû courir à poil dans la neige. On s’est évidemment pris de passion pour l’épopée européenne de l’OM, et pour finir, on a rasé la tête de Djel dans un sketch sur fond de « OPP » de Naughty By Nature.
De retour du Jura, une triste nouvelle m’attendait : M. No voulait récupérer son W-30 pour le vendre. Je l’aurais bien acheté mais j’étais fauché. Cette restitution était une véritable déchirure, j’en aurais pleuré. On m’enlevait l’outil de ma passion.
Heureusement se profilait un des plus grands voyages de ma vie : l’Égypte, où je partais avec la troupe FDM.
On a quitté Marseille dans un train de nuit direction Paris. Nous étions tellement excités qu’il était impossible de dormir. On a fumé tout le trajet.
À Roissy, on a eu droit à un sermon de Manu, un encadrant de FDM. « Je vous préviens, l’Égypte, c’est pas la France. S’ils vous chopent avec du shit, c’est la peine de mort », qu’il a dit. On s’est regardés avec Djel et Le Rat. On en avait une quantité importante. On a décidé de presque tout planquer à l’aéroport, enterré dans la pelouse devant l’entrée en espérant le retrouver à notre retour, un mois plus tard (j’ai quand même gardé quelques joints dans les chaussettes, faut pas déconner).
On a embarqué pour Le Caire dans un petit avion à hélices. Je me souviens d’avoir été frappé par la netteté des côtes méditerranéennes, particulièrement celles de la Grèce que je distinguais clairement. On aurait dit la carte de géographie du collège. Après sept heures à bord, on a survolé des habitations pendant un bon quart d’heure avant d’atterrir. Ce qui laissait présager de l’immensité de la mégalopole, qui était alors la plus grande ville du monde avec plus de vingt millions d’habitants.
En passant l’immigration, ce qui devait arriver arriva. On s’est fait guinter par la douane égyptienne. Après avoir passé huit heures dans un compartiment SNCF enfumé, nos fringues empestaient le shit. Les chiens de la douane se sont instantanément mis à l’arrêt en nous reniflant.
Un genre de sergent Garcia version bled nous a demandé de le suivre. Notre encadrement a tenté de s’interposer, mais les fonctionnaires n’ont rien voulu savoir. On s’est retrouvés, Djel, Le Rat et moi, dans un petit bureau pour la fouille au corps, ambiance Midnight Express.
J’avais glissé le matos entre les lacets et la languette de mes Nike. Rien d’extraordinaire, mais c’était suffisant pour les duper. On est quand même restés une bonne demi-heure avec eux. Quand ils nous ont lâchés, ils ont attendu qu’on soit à une cinquantaine de mètres et ils nous ont appelés en criant. Je suppose qu’ils voulaient voir si l’on s’enfuirait, mais on a gardé notre calme et on est retournés les voir. Ils ont baragouiné un truc et nous ont fait signe de partir.
Les autres nous attendaient après la douane. On est arrivés avec le sourire d’Hannibal Smith de L’Agence tous risques. Je ne sais pas si les éducateurs étaient soulagés ou furieux de nous revoir.
Puis on a pris un bus direction Daher, un quartier populaire du centre du Caire.
On logeait au collège de La Salle, un établissement copte géré par le père Boulad. Les élèves étant en vacances, tout était désert et on a investi les dortoirs. Dans notre chambre équipée de quatre lits, il y avait Djel, Le Rat, Rachid de Mantes, qui deviendra le beau-fils de Charles Aznavour, et moi. Les quatre mousquetaires.
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Tous les matins, un bus nous lâchait dans un quartier du Caire où l’on devait étudier le mode de vie des habitants. J’ai rencontré la misère, la vraie. Les gosses de cinq ans qui cassent des cailloux, les familles entières qui vivent dans les cimetières, mais toujours dans la dignité. Ça m’a fait passer l’envie de me plaindre de tout et n’importe quoi.
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Au bout de trois semaines, on a quitté Le Caire pour finir notre séjour au bord de la mer Rouge, à Ismaïlia. C’était superbe. On était dans un hôtel sur la plage. On se baignait au milieu des supertankers en provenance du canal de Suez. Irréel.
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À la rentrée de septembre 93, j’ai eu mon tout premier job. J’étais embauché en CES (contrat emploi solidarité) au centre culturel Mirabeau, où l’on faisait les ateliers FDM. J’y ai fait un peu de tout : changer les ampoules, coller les affiches, décharger le matos des concerts… Je touchais du doigt un milieu qui me plaisait, celui du spectacle.
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L’été arriva et de nouveau, un merveilleux voyage m’attendait : Dakar. Ce serait cette fois sans Le Rat, forcément exclu après son scandale au Caire, ni Djel, bloqué en France à cause d’un passeport périmé. Autant pour Le Rat, je le savais depuis un an, mais pour Djel, c’était une surprise et j’étais dégoûté. Je le revois dépité en bas de chez lui à quelques jours du départ : « J’aurai pas mon passeport Pone, ils m’ont dit qu’il fallait un mois d’attente. » C’était comme un coup de poignard. J’avais des potes dans FDM, mais c’était pas pareil, Djel c’était le sang comme on dit aujourd’hui.
On est partis fin juillet 94. Lorsqu’on a débarqué dans le quartier populaire de Cité-Enseignants à Golf-Nord Guédiawaye, un sacré comité d’accueil nous attendait. Une poignée de musiciens et une dizaine de danseurs et danseuses nous souhaitaient la bienvenue avec un show époustouflant.
Contrairement au Caire, nous serions logés chez l’habitant, choc culturel garanti. J’étais chez la famille Ba avec mon ami François, un gitan de La Ciotat habillé de la tête aux pieds en Lacoste. Il y avait la maman, Sarah, les enfants d’à peu près mon âge, et le papa, qui allait et venait entre les quatre maisons de ses quatre femmes, toujours accompagné de sa dernière fille.
L’objectif artistique du séjour était de créer un spectacle qui aurait lieu en public et en plein air. On devait collaborer avec des artistes sénégalais de renom tels qu’Aminata Fall ou Abdou N’Diaye. Des ateliers de travail avaient lieu tous les jours, mais moi, j’étais préposé à faire un graff en live pendant le spectacle avec mon pote Mounir de Vaulx-en-Velin. En un mois, on avait donc une simple maquette à faire. On était en vacances.
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Le spectacle s’est déroulé devant plus de 10 000 spectateurs, c’était fantastique. On a réalisé un énorme graff en live sur la scène avec des sensations incroyables. On m’a rapporté que quand je suis entré en action, Mama Sarah a dit à ses copines : « Regardez, c’est mon fils. »
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Le Caire c’était génial, mais on avait dû se mettre au diapason de la mégalopole : speed. Là, c’était paisible et riche en relations humaines. J’ai toujours eu soif de ça.
Au moment du départ, beaucoup pleuraient. En un mois, des liens s’étaient créés dans chaque famille d’accueil. Encore aujourd’hui, je considère la famille Ba comme une deuxième famille et Mama Sarah comme une deuxième maman. Et je sais que je suis comme son fils. C’est ma famille du Sénégal.
Avant de quitter la maison dans laquelle j’avais passé un mois qui changerait ma vie, Mama Sarah m’a offert un cadeau pour que je ne les oublie pas (ce qui ne risquait pas d’arriver). C’était un petit collier bon marché fait d’une ficelle noire et d’un pendentif en ébène noir et blanc, ce qui est plutôt rare. Elle m’a dit en me le donnant qu’il protégeait de la noyade. Avant d’ajouter qu’elle appartenait au peuple peul, et que les Peuls vivaient de la pêche en mer depuis des lustres, un peu comme ma famille. Elle m’a dit que si je le gardais autour du cou, il était impossible que je me noie. Si j’avais su, j’aurais demandé s’il en existait contre la maladie de Charcot."
À noter : depuis le mois d'août 2025, un groupe d'élèves de différentes promotions de Sup de Sub s'est constituée en équipe scénraio autour de JM. Bruyère pour contribuer au scénario d'une série en préparation dont Pone est le concepteur : MANSTRES